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Comment la bataille de Sekigahara a changé le Japon

Japon
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Vidéo GEO : La bataille de Sekigahara fut un rassemblement de samouraïs qui transforma le Japon

Les 20 et 21 octobre 1600, deux coalitions de seigneurs s’affrontent à Sekigahara. Un événement qui scellera le sort du pays durant deux siècles et demi.

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Depuis quatre siècles, tous les Japonais le savent pour l’avoir ­appris dès l’enfance, la bataille de Sekiga­hara fut le plus grand ras­sem­blement de sa­mou­raïs de tous les temps. Les 20 et 21 oc­to­bre 1600, cette pas­se montagneuse dans le centre du pays, entre le Kansai (Japon de l’Ouest) et le Kanto (Japon de l’Est), au croisement de toutes les routes, est le théâtre d’un affrontement géant, au terme duquel l’Empire du Soleil Levant bascule de la période dite Sengoku («des provinces en guerre») à la longue paix d’un archipel enfin stable et centralisé, mais coupé du monde extérieur. Un événement historique si emblémati­que que les Japonais l’appellent aussi tenka wakeme no kassen, en français : «La bataille­ qui décida de l’avenir du pays.»

EN IMAGES
Le Japon entre traditions et modernité photographié par la Communauté GEO
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Depuis un siècle, l'archipel du Japon est en proie au chaos

À l’époque, ce sanglant épisode achève un siècle et demi de luttes incessantes. Au XVIe siècle, l’émergence d’une nouvelle classe marchande et bourgeoise et l’affaiblissement du pouvoir des shoguns ont redistribué les cartes. La situation économique est profondément dégradée : la misère des campagnes oblige les paysans, la moitié de l’année, à s’engager comme soldats au service des seigneurs locaux, les daimyos, qui se disputent âprement leurs fiefs. Ce chaos intérieur, que prolonge l’insularité même du pays, donne leur chance à des hommes nouveaux. L’apparition des armes à feu au milieu du siècle, grâce aux Occidentaux­, favorise la carrière de talentueux parvenus qui se hissent rapidement jusqu’au sommet.

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La chute du Muromachi

En 1573, le shogun est chassé par l’un de ces chefs de guerre, Oda Nobunaga, qui met fin à la période de Muromachi (du nom du quartier de Kyoto où résidaient les shoguns depuis deux cent cinquante ans). L’empire est désormais tenka fubu, c’est-à-dire «sujet du glaive», et ce n’est pas peu dire… En 1582, trahi par les siens, Oda Nobunaga se suicide. La dictature échoit à l’un de ses meilleurs généraux, Toyotomi Hideyoshi, issu d’une famille modeste, qui poursuit avec succès son œuvre de reconquête et d’unification du pays. Or, entre 1592 et 1597, ce remarquable homme d’État, pour canaliser les énergies qu’a suscitées son entreprise de guerre et de police, commet l’erreur d’envoyer ses samouraïs en Corée – première étape pour conquérir la Chine…

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Les Coréens se défendent avec un acharnement inattendu. Les Japonais sont alors rejetés à la mer. Toyotomi ne s’en remet pas et meurt en 1598. Le réformateur laisse un vide béant. Son fils de 7 ans n’est pas en âge de gouverner : un conseil de cinq régents tente d’abord de retenir un État fragilisé par cette défaite, mais il ne tarde pas à s’effondrer.

Tokugawa Ieyasu (31 janvier 1543 - 1er juin 1616), fondateur et premier souverain du shogunat Tokugawa (1600-1868). Rouleau suspendu peint par Kano Tan'yu (1602-1674), 17e siècle.  © Getty Images

Japon : ce passé qui ne passe pas

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Mitsunari et Tokugawa : deux prétendants pour un trône

La déconfiture du pouvoir attise les convoitises de deux ambitieux. Le premier est Ishida Mitsunari, le chef des "bureaucrates" qui ont servi le régime en l’administrant. Ancien représentant de Toyotomi en Corée ­occupée et l’un de ses plus brillants vassaux, il se présente comme son plus fidèle disciple. Le second, Tokugawa Ieyasu, porte le titre de "premier régent". De vingt ans son aîné, ce redoutable guerrier et politicien retors de 57 ans a longtemps représenté Toyotomi dans les plaines du Kanto, à l’est, où il s’est taillé d’immenses domaines avec pour base d’opération Edo (l’actuelle Tokyo). Dans le Japon en quête d’un souverain, il n’y a pas de place pour deux, et au tournant du XVIIe siècle, les deux maîtres de guerre comptent leurs troupes…

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C’est Ishida qui lance les hostilités : persuadé que le rapport de force est en sa faveur, il appelle les daimyos à se soulever, convoque ses partisans à Sawayama et se lie avec Mori Terumoto, commandant en chef, qui tient la place d’Osaka. De son côté, Tokugawa­ Ieyasu réplique et lève une armée qu’il divise en deux et envoie, par deux routes différentes, vers l’ouest. Mais il sait que la guerre est aussi une ­affaire d’intrigues et de trahisons : craignant ses amis comme ses ennemis, Ieyasu ne bouge pas d’Edo et fait savoir à ses troupes qu’il ne les rejoindra que lorsqu’il sera sûr de leur loyauté au combat. Son inquiétude est de courte durée : il apprend que ses hommes ont terrassé un seigneur du clan Toyotomi, allié à Ishida. Rassuré, Tokugawa quitte donc Edo en direction du château d’Osaka, à l’ouest, où réside le gros des troupes ennemies. Face à la menace grandissante, Ishida n’a d’autre choix que de partir à sa rencontre et de lui barrer la route. Tokugawa a gagné son pari : il a réussi à attirer les forces de son adversaire en terrain ­découvert et s’évite un long et pénible siège… Le 20 octo­bre 1600, après une journée de marche sous une pluie battante qui a fatigué les hommes et rendu inutilisables les armes à feu, Ishida ordonne arrêt et repos dans la passe montagneuse de Sekigahara.

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La topographie du lieu, une vallée que baigne la ­petite rivière Fuji, offre à son armée, qui s’y déploie sur les hauteurs, une position avantageuse. Informé de ce mouvement, Tokugawa mène ses troupes au combat. Depuis­ des mois, aidé d’un réseau d’espions, il négocie, avec certains alliés d’Ishida, leur retournement – no­tam­ment avec l’un des plus puissants, le jeune Koba­yakawa­ Hideaki. Cet ancien combattant en Corée, ­neveu du défunt Toyotomi Hideyoshi, un moment disgracié par son oncle pour ses erreurs de commandement, a été rétabli dans ses droits grâce à l’intervention de Tokugawa Ieyasu. Le jeune chef de guerre hésite entre sa loyauté envers le clan Toyotomi, qui soutient Ishida, et sa reconnaissance envers Tokugawa, à qui il fait parvenir un message l’assurant qu’il se ralliera à lui pendant la bataille. Ce dernier – c’est sa première audace – décide de lui faire confiance.

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Empreinte de la main de Tokugawa Leyasu (1543-1616), fondateur et premier souverain du shogunat Tokugawa (1600-1868).  © Getty Images

Le Japon en 19 dates clés

Coups de canons, pluie et brouillard sur Sekigahara

La pluie et le brouillard sont tels que les deux armées se heurtent sans que l’une ait vu venir l’autre. Panique. Coups de feu. En ce soir du 20 octobre, on se retire sans combattre. Ishida a rejeté, comme peu chevaleresque, l’idée de profiter de la situation, contredisant la stratégie de l’un de ses généraux, Shimazu Yoshihiro­, qui, humilié, s’en souviendra le lendemain et le trahira. À l’aube du 21 octobre, le brouillard s’étant un peu dissipé, les deux ­armées jaugent leurs positions. Positionnés­ sur les hauteurs, les quelque 80.000 hommes de l’ar­mée d’Ishida, dite "de l’Ouest", observent les 75.000 soldats de Tokugawa, comme pris au piège dans la ­vallée. Au Japon, le premier samouraï à charger l’ennemi jouit d’un grand respect. Cet honneur revient au quatrième fils de Tokugawa, âgé de 21 ans.

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À 8 heures précises, 30 cavaliers traversent derrière lui les positions qui forment l’aile gauche de leur armée (dite "de l’Est"), suivis par 800 arquebusiers qui ouvrent le feu au centre droit de l’armée d’Ishida. La montée est raide, la terre détrempée, la progression trop lente. L’assaut est repoussé, avec de lourdes pertes. La mauvaise ­position de Tokugawa et de son armée de l’Est, son ­infériorité numérique, sont compensées par sa puissance de feu : ses mousquets ont moins souffert des intempéries que ceux d’en face, et le seigneur a fait saisir, avant la bataille, les 18 canons d’un navire hollandais, le ­Liefde, dont les boulets pleuvent dès lors sur le champ de bataille. Ils explosent au milieu de forêts de piques, des brusques charges de cavalerie et des combats au sabre.

La trahison fatale

À la mi-journée, la situation se fige. La confusion est totale, l’issue incertaine. Tous les yeux se tournent au sud, vers le mont Matsuo. Là, immobiles au-dessus du tumulte, les 15.000 hommes de Koba­yakawa­ Hideaki attendent la décision de leur chef. Le jeune guerrier n’en finit pas d’hésiter. Il ne répond ni aux ordres d’attaque d’Ishida, ni aux messages de Tokugawa lui rappelant sa promesse. Soudain, au milieu de l’après-midi, Ieyasu prend une décision qui va entrer dans la légende : il dirige et fait tonner ses canons contre le mont Matsuo. Le choc réveille Kobayakawa qui, d’un geste, envoie tous ses hommes au secours du vieux guerrier Tokugawa envers qui, finalement, il se sent redevable ! Ses anciens alliés, stupéfaits, braquent leurs arquebuses contre les traîtres, rendant leur charge relativement inefficace, les repoussant même jusqu’au sommet de la colline. Mais les autres régiments de l’armée de Tokugawa, avec lesquels ils étaient en prise, profitent du ­désor­dre et enfoncent le flanc droit de l’armée d’Ishida.

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Devant ce coup de théâtre, quatre autres généraux d’Ishida se retournent contre leur commandant, dont le général Shimazu, humilié la veille. Ce dernier ­répond sèchement, lorsque Ishida lui ordonne d’attaquer, qu’il n’a pas à obéir à un chef qu’il ne respecte pas. Tout est dit. L’alliance des seigneurs de l’Ouest a montré qu’elle n’était qu’une construction factice. L’audace du vieux guerrier a eu raison de l’élégant ­administrateur. Son armée est défaite ­– et s’est défaite toute seule. 40.000 de ses soldats sont exécutés.

Tokugawa Ieyasu (1543-1616) après sa défaite à Mikatagahara face aux forces de Takeda Shingen, 6 janvier 1573.  © Getty Images
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Japon : l'empereur, dieu vivant ou icône sans pouvoir ?

Une dictature de la paix

Désormais, le pays va se refermer. Aban­donné­ par les siens, livré à Tokugawa Ieyasu, Ishida Mitsunari est promené dans les rues d’Osaka, puis emmené à Kyoto où il est décapité le 1er novembre 1600, avec trois autres "fauteurs de troubles". Leurs têtes, comme le veut la coutume, sont exposées sur le pont Sanjo. Koba­yakawa­ Hideaki, dont la trahison a changé le cours de l’histoire, est doté par Tokugawa Ieyasu d’un large domaine. Il n’en profite guère et meurt deux ans plus tard, atteint de démence.

En 1603, Tokugawa reçoit de l’empereur le titre envié de shogun, que n’avaient obtenu ses deux prédécesseurs, en raison de leurs modestes origines. Ce titre, qui scelle sa réussite, lui permet de parachever l’œuvre d’unification du pays. Il confisque et redistribue à des hommes sûrs les fiefs de ses anciens ­ennemis, et, surtout, pour parer à l’éclatement régionaliste dont le Japon­ a tant souffert, en diminue le nombre. Chaque fief constitue désormais une unité administrative où siège un personnage chargé de ­représenter le gouvernement central, auquel il doit rendre des comptes. Une "dictature de la paix", comme l’écrit Danielle Elisseeff dans son Histoire du Japon (éd. du Rocher, 2001) s’installe dans un pays qui s’isole de l’extérieur comme un malade en convalescence. L’empereur, à Kyoto, incarne l’esprit national, tandis que son bras armé, le shogun, gouverne à Edo. Les Tokugawa s’y succéderont jusqu’en 1868. Et la bataille de Sekigahara restera un événement fondateur du Japon moderne.

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Le courage et aussi… la ruse

Sur les champs de bataille, les Japonais admirent la bravoure. Ainsi, surnommé ichiban yari (première lance), le premier samouraï qui affronte l’ennemi est-il auréolé de gloire, tout comme les soldats qui viennent au secours des blessés ou qui tentent de ralentir les poursuivants lors d’une retraite. Mais, paradoxalement, la ruse est aussi une valeur importante, comme l’atteste le Heike monogatari, un récit du XIIe siècle. Un passage décrit le seigneur Minamoto à terre, prêt à être achevé par son ennemi, qu’il supplie de l’épargner. L’autre hésite, et c’est le moment que Minamoto choisit pour le tuer… Dans le récit, Minamoto est considéré comme un héros : il a réussi à vaincre, même si c’est de façon déloyale.

➤ Article paru dans le magazine GEO Histoire Hors Série "Samouraïs : Guerriers du Japon et icônes de la pop culture" (n° 16). Numéro qui a reçu le prix SEPM - Relay du meilleur hors-série 2023 !

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